Laïcité
L'adjectif
« laïque[2] »,
qui s'oppose d'abord à « clérical », peut aussi désigner
l'indépendance par rapport à toute autorité religieuse. Pour les Républicains
français de la troisième République, le cléricalisme renvoie, non à la
religion, mais à la prétention du personnel religieux à régir la vie publique
d'un État au nom de Dieu ou de croyances religieuses.
Définition
Dans
l'article « laïcité » de son Dictionnaire de pédagogie et
d'instruction primaire Ferdinand
Buisson, un des inspirateurs des lois laïques de la troisième République, définit plus précisément
la laïcité, terme alors nouveau (néologisme): il s'agit de la sécularisation des institutions politiques d'un État, à
savoir que cet État ne s'adosse à aucune religion officielle, ni ne suppose
quelque onction divine. Le principe de séparation des pouvoirs politique et
administratif de l’État du pouvoir religieux en est une application. On ne doit
donc pas confondre le caractère séculier d'une société (la population manifeste
une certaine indifférence religieuse) avec la laïcité proprement dite (les
institutions d'État ne sont soumises à aucune contrainte ni même ne relèvent
d'aucune justification de nature religieuse, spirituelle ou théologique). Dans
un État laïque, il ne saurait exister de religion civile, serait-elle négative
(proposant comme chez Rousseau l'exclusion des croyances fanatiques, ou imposant
l'athéisme comme dans les États communistes). Au sens contemporain, elle est le
principe d'unité qui rassemble les hommes d'opinions, religions ou de
convictions diverses en une même société politique, distincte par conséquent
d'une communauté. Dans une perspective laïque, les croyances et convictions qui
ont rapport à la religion (religions proprement dites, croyances sectaires, Déisme,
Théisme,
Athéisme,
Agnosticisme,
spiritualités personnelles) ne sont que des opinions privées, sans rapport
direct avec la marche de l'État. C'est là considérer la politique comme une
affaire humaine, seulement humaine. Réciproquement, la liberté de croyance et
de pratique doit être entière; dans les limites de "l'ordre public",
l'État s'interdit d'intervenir dans les affaires religieuses, et même de définir
ce qui est religion et ce qui ne l'est pas (pas de religions officielles ni
même reconnues selon l'article 2 de la loi de 1905).
Étymologie
Le
mot « laïc », apparu au XIIIe siècle et d'usage rare jusqu'au XVIe siècle, est issu du latin laicus
« commun, du peuple (laos) », terme ecclésiastique repris au
grec d'église λαϊκός, laikos, « commun, du peuple (laos) »[3], par
opposition à κληρικός, klerikos (clerc)[4], désignant
les institutions proprement religieuses. Le terme laicus est utilisé
dans le vocabulaire des églises chrétiennes dès l'Antiquité tardive pour
désigner toute personne de la communauté qui n’est ni clerc, ni religieux;
c'est-à-dire profane en matière de théologie.
Cependant, elle appartient bien à l'Église, dans le sens qu'elle en suit le
culte (l'incroyance étant alors inconcevable à
l'époque); et peut même y exercer des fonctions importantes. L'abstrait
désignant cette position a donné en français le terme « laïcat »[5]. Au Moyen
Âge, le mot « laïc » distingue l'homme commun, qui doit être
enseigné, de l'individu instruit consacré par son état religieux[6].
Le
concept de laïcité, en tant que séparation du pouvoir ecclésiastique et du
pouvoir séculier, est ancien, mais ne s'exprime pas
d'emblée dans le champ lexical du laïcat. Au Ve siècle, le pape
Gélase
Ier
conçoit le premier dans une lettre à l'empereur Anastase,
la distinction entre le pouvoir temporel (potestas) et de l’autorité
spirituelle (auctoritas)[7]. Cette
lettre, préfigurant la doctrine médiévale[8] des deux
glaives[9], devient à
fin du XIe siècle
l’un des textes clefs invoqués pour soutenir la supériorité de l’autorité
pontificale sur la potestas impériale. Mais l'usage qui en est fait
alors, dans l'optique de la séparation du regnum et du sacerdotium,
provient de l’importance excessive accordée à ce qui est en fait une citation
altérée de la lettre de Gélase, qui mentionnait « deux augustes
impératrices gouvernant le monde »[10]. La
distinction entre potestas et auctoritas tente d'établir une
hiérarchie : le pouvoir politique serait moralement soumis à l'autorité.
Cette dichotomie entraîne des réactions qui se traduisent notamment par la lutte du sacerdoce et de l'Empire ou par les
mouvements hérétiques des XIVe
et XVe siècle qui contestent au clergé cette
mainmise spirituelle[6][réf. incomplète].
Les
racines de la notion de laïcité
Le
concept de laïcité trouve ses racines dans les écrits des philosophes grecs et
romains, tels que Marc-Aurèle[réf. nécessaire] et Épicure[réf. nécessaire] , ceux
des penseurs des Lumières comme Denis Diderot,
Voltaire,
John
Locke, les pères fondateurs des États-Unis tels James
Madison, Thomas Jefferson, et Thomas
Paine, en France à travers les lois de Jules
Ferry, ainsi que dans les écrits de libres penseurs modernes,
agnostiques et athées, tels que Bertrand
Russell, Robert Ingersoll, Albert
Einstein, et Sam Harris.
La
notion moderne de laïcité, qui n'est plus hiérarchique, apparaît quand la
théorie politique puis l'État deviennent capables d'une pensée autonome sur la
question religieuse[11]. Dans un
premier temps, les philosophes des Lumières, comme Voltaire,
se sont mis à parler de prêtres ou de missionnaires laïques pour désigner la
vocation morale hors du clergé et des doctrines religieuses[réf. nécessaire]. Les
termes « laïcité », « laïciser »,
« laïcisation », ne sont attestés qu'à partir de la chute du Second
Empire, en 1870 : le terme « laïcité » est
contemporain de la Commune de Paris qui vote en 1871
un décret de séparation de l'Église et de l'État[6]. Ils sont
liés, sous la Troisième République, à la mise en place
progressive d'un enseignement non religieux mais institué par l'État. Le
substantif « la laïque », sans autre précision, désignait
familièrement l'école républicaine. La laïcité sécularise alors la puissance
publique et renvoie l'activité religieuse à la sphère privée.
Est
désormais laïque (au sens de Laos « la population indivise »)
« ce qui concerne tout le peuple, indépendamment des diverses croyances ou
convictions qui le divisent[12] ».
Cette définition contemporaine se rapproche de celle qu'avait retenue Ferdinand
Buisson dans son Nouveau dictionnaire de pédagogie (1911)[13] :
« Les laïques, c'est le peuple, c'est la masse non
mise à part, c'est tout le monde, les clercs exceptés, et l'esprit laïque,
c'est l'ensemble des aspirations du peuple, du laos, c'est l'esprit
démocratique et populaire. »
Selon
Henri
Pena-Ruiz, dans la cité grecque (et dans la cité latine
pré-chrétienne postérieurement) la religion organise le lien social. Puis, la
cité se faisant intégrante, des croyances multiples cohabitèrent. Chaque
citoyen a ses dieux personnels, dans une cité qui a les siens propres (les
dieux poliades) et dont la
vocation est de préserver le salut commun. Progressivement, le conformisme
religieux laisse la place à des lois communes, afin de favoriser la coexistence
de tous. La religion de la cité aura alors une fonction civique dépourvue de
dogmatisme théologique ; on admettra progressivement que la conscience
reste maîtresse d’elle-même. Le droit romain développera cette distinction
entre lois communes et pouvoir religieux en distinguant la res publica
(la « chose publique ») de la chose privée. Ainsi sont réunis les
composantes de la laïcité contemporaine : le respect de la conscience
individuelle, la recherche de l’intérêt général, la primauté de la loi sur les
dogmes[14].
La
laïcité contemporaine, principe d'unité
Aujourd'hui,
une organisation commune fondée sur la laïcité permet de prendre en compte la
diversité des hommes et la nécessité de les unir pour assurer leur coexistence.
« Elle le fait en conjuguant la liberté de conscience, qui
permet aux options spirituelles de s'affirmer sans s'imposer, l'égalité de
droits de tous les hommes sans distinction d'option spirituelle, et la définition
d'une loi commune à tous visant le seul intérêt général, universellement
partageable[12]. »
Jean
Baubérot emploie une formule semblable en définissant la laïcité
contemporaine sous trois aspects : l’État est sécularisé, la liberté de
croyance et de culte est garantie, et les croyances sont égales entre elles. Il
remarque cependant que chacun insiste davantage sur l'un ou sur l'autre de ces
trois aspects: le laïciste sur la sécularisation, le croyant, sur la liberté de
conscience, et enfin celui qui adhère à des croyances minoritaires sur
l'égalité entre toutes les croyances. (référence: Laïcité 1905-2005, entre
passion et raison, Le Seuil, 2004.)
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